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c’étoit le sujet des plaintes de Platon : il polit & adoucit les mœurs barbares, comme nous les voyons tous les jours.


CHAPITRE II.

De l’esprit du commerce.


L’EFFET naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; & toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays[1] où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, & de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent.

L’esprit de commerce produit, dans les hommes, un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, & de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, & qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

La privation totale du commerce produit, au contraire, le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manieres d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus, morales : par exemple, l’hospitalité, très-rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands.

C’est un sacrilege chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa maison à quelqu’homme que ce soit, connu ou inconnu. Celui qui a exercé[2] l’hospitalité envers


  1. La Hollande.
  2. Et qui modò hospes fuerat, monstrator hospitti. De moribus Germanorum. Voyez aussi César, Guerres des Gaules, liv. VI.