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LIVRE XX.

Des loix, dans le rapport qu’elles ont avec le commerce, considéré dans sa nature & ses distinctions.

Docuit quæ maximus Atlas.
Virgil. Æneid.

CHAPITRE PREMIER.

Du commerce.


LES matieres qui suivent demanderoient d’être traitées avec plus d’étendue ; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler sur une riviere tranquille ; je suis entraîné par un torrent.

Le commerce guérit des préjugés destructeurs : & c’est presque une regle générale que, par-tout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; & que, par-tout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.

Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étoient autrefois. Le commerce a fait que la connoissance des mœurs de toutes les nations a pénétré par-tout : on les a comparées entre elles, & il en a résulté de grands biens.

On peut dire que les loix du commerce perfectionnent les mœurs ; par la même raison que ces mêmes loix perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures[1] ;


  1. César dit des Gaulois, que le voisinage & le commerce de Marseille les avoit gâtés de façon, qu’eux, qui autrefois avoient toujours vaincu les Germains, leur étoient devenus inférieurs. Guerre des Gaules, liv. VI.