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tre plusieurs traits dont brille son discours[1], on reconnoîtroit l’écrivain qui pense au seul portrait du cardinal de Richelieu, qui apprit à la France le secret de ses forces, & à l’Espagne celui de sa foiblesse ; qui ôta à l’Allemagne ses chaînes, & lui en donna de nouvelles. Il faut admirer M. de Montesquieu d’avoir sçu vaincre la difficulté de son sujet, & pardonner à ceux qui n’ont pas eu le même succès.

Le nouvel académicien étoit d’autant plus digne de ce titre, qu’il avoit, peu de temps auparavant, renoncé à tout autre travail, pour se livrer entiérement à son génie & à son goût. Quelque importante que fût la place qu’il occupoit, avec quelques lumieres & quelque intégrité qu’il en eût rempli les devoirs, il sentoit qu’il y avoit des objets plus dignes d’occuper ses talens ; qu’un citoyen est redevable à sa nation & à l’humanité de tout le bien qu’il peut leur faire ; & qu’il seroit plus utile à l’un & à l’autre, en les éclairant par ses écrits, qu’il ne pouvoit l’être en discutant quelques contestations particulieres dans l’obscurité. Toutes ces réflexions le déterminerent à vendre sa charge. Il cessa d’être magistrat, & ne fut plus qu’homme de lettres.

Mais, pour se rendre utile par ses ouvrages aux différentes nations, il étoit nécessaire qu’il les connût. Ce fut dans cette vue qu’il entreprit de voyager. Son but étoit d’examiner par-tout le physique & le moral ; d’étudier les loix & la constitution de chaque pays ; de visiter les sçavans, les écrivains, les artistes célebres ; de chercher sur-tout ces hommes rares & singuliers dont le commerce supplée quelquefois à plusieurs années d’observations & de séjour. Monsieur de Montesquieu eût pu dire, comme Démocrite : « je n’ai rien oublié pour m’instruire : j’ai quitté mon pays, & parcouru l’univers pour mieux connoître la vérité : j’ai vu tous les

  1. On le trouvera à la fin de cet éloge.