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fondamentales, elles seroient sourdes, funestes, atroces, & produiroient des catastrophes.

Bientôt on verroit un calme affreux, pendant lequel tout se réuniroit contre la puissance violatrice des loix.

Si, dans le cas où les inquiétudes n’ont pas d’objet certain, quelque puissance étrangere menaçoit l’état, & le mettoit en danger de sa fortune ou de sa gloire ; pour lors, les petits intérêts cédant aux plus grands, tout se réuniroit en faveur de la puissance exécutrice.

Que si les disputes étoient formées à l’occasion de la violation des loix fondamentales, & qu’une puissance étrangere parût ; il y auroit une révolution qui ne changeroit pas la forme du gouvernement, ni la constitution : car les révolutions que forme la liberté ne sont qu’une confirmation de la liberté.

Une nation libre peut avoir un libérateur ; une nation subjuguée ne peut avoir qu’un autre oppresseur.

Car tout homme qui a assez de force pour chasser celui qui est déja le maître absolu dans un état, en a assez pour le devenir lui-même.

Comme, pour jouir de la liberté, il faut que chacun puisse dire ce qu’il pense ; & que, pour la conserver, il faut encore que chacun puisse dire ce qu’il pense ; un citoyen, dans cet état, diroit & écriroit tout ce que les loix ne lui ont pas défendu expressément de dire, ou d’écrire.

Cette nation, toujours échauffée, pourroit plus aisément être conduite par ses passions que par la raison, qui ne produit jamais de grands effets sur l’esprit des hommes ; & il seroit facile à ceux qui la gouverneroient de lui faire faire des entreprises contre ses véritables intérêts.

Cette nation aimeroit prodigieusement sa liberté, parce que cette liberté seroit vraie : & il pourroit arriver que, pour la défendre, elle sacrifieroit son bien, son aisance, ses intérêts ; qu’elle se chargeroit des impôts les plus durs, & tels que le prince le plus absolu n’oseroit les faire supporter à ses sujets.

Mais, comme elle auroit une connoissance certaine de la nécessité de s’y soumettre, qu’elle paieroit dans