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J’ai parlé, au livre XI[1], d’un peuple libre ; j’ai donné les principes de sa constitution : voyons les effets qui ont dû suivre, le caractere qui a pu s’en former, & les manieres qui en résultent.

Je ne dis point que le climat n’ait produit, en grande partie, les loix, les mœurs & les manieres dans cette nation ; mais je dis que les mœurs & les manieres de cette nation devroient avoir un grand rapport à ses loix.

Comme il y auroit dans cet état deux pouvoirs visibles, la puissance législative & l’exécutrice ; & que tout citoyen y auroit sa volonté propre, & feroit valoir à son gré son indépendance ; la plupart des gens auroient plus d’affection pour une de ces puissances que pour l’autre ; le grand nombre n’ayant pas ordinairement assez d’équité ni de sens pour les affectionner également toutes les deux.

Et, comme la puissance exécutrice, disposant de tous les emplois, pourroit donner de grandes espérances & jamais de craintes ; tous ceux qui obtiendroient d’elle seroient portés à se tourner de son côté, & elle pourroit être attaquée par tous ceux qui n’en espéreroient rien.

Toutes les passions y étant libres, la haine, l’envie, la jalousie, l’ardeur de s’enrichir & de se distinguer, paroîtroient dans toute leur étendue ; & si cela étoit autrement, l’état seroit comme un homme abbatu par la maladie, qui n’a point de passions, parce qu’il n’a point de forces.

La haine qui seroit entre les deux partis dureroit, parce qu’elle seroit toujours impuissante.

Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenoit trop le dessus, l’effet de la liberté seroit que celui-ci seroit abbaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendroient relever l’autre.

Comme chaque particulier, toujours indépendant,

  1. Chapitre VI.