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soient une injure. Il vit le ministre, lui déclara que, par des raisons particulieres, il n’avouoit point les lettres Persanes ; mais qu’il étoit encore plus éloigné de désavouer un ouvrage dont il croyoit n’avoir point à rougir ; & qu’il devoit être jugé d’après une lecture, & non sur une délation : le ministre prit enfin le parti par où il auroit dû commencer ; il lut le livre, aima l’auteur, & apprit à mieux placer sa confiance. L’académie Françoise ne fut point privée d’un de ses plus beaux ornemens ; & la France eut le bonheur de conserver un sujet que la superstition ou la calomnie étoient prêtes à lui faire perdre : car monsieur de Montesquieu avoit déclaré au gouvernement, qu’après l’espece d’outrage qu’on alloit lui faire, il iroit chercher, chez les étrangers qui lui tendoient les bras, la sûreté, le repos & peut-être les récompenses qu’il auroit dû espérer dans son pays. La nation eût déploré cette perte, & la honte en fût pourtant retombée sur elle.

Feu monsieur le maréchal d’Estrées, alors directeur de l’académie Françoise, se conduisit dans cette circonstance en courtisan vertueux, & d’une ame vraiment élevée : il ne craignit, ni d’abuser de son crédit, ni de le compromettres ; il soutint son ami, & justifia Socrate. Ce trait de courage, si précieux aux lettres, si digne d’avoir aujourd’hui des imitateurs, & si honorable à la mémoire de monsieur le maréchal d’Estrées, n’auroit pas dû être oublié dans son éloge.

M. de Montesquieu fut reçu le 24 janvier 1728. Son discours est un des meilleurs qu’on ait prononcés dans une pareille occasion : le mérite en est d’autant plus grand, que les récipiendaires, gênés jusqu’alors par ces formules & ces éloges d’usage auxquels une espece de prescription les assujettit, n’avoient encore osé franchir ce cercle pour traiter d’autres sujets, ou n’avoient point pensé du moins à les y renfermer. Dans cet état même de contrainte, il eut l’avantage de réussir. En-