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CHAPITRE XVII.

Propriété particuliere au gouvernement de la Chine.


LES législateurs de la Chine firent plus[1] : ils confondirent la religion, les loix, les mœurs & les manieres ; tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardaient ces quatre points, furent ce que l’on appella les rites. Ce fut dans l’observation exacte de ces rites, que le gouvernement Chinois triompha. On passa toute sa jeunesse à les apprendre, toute sa vie à les pratiquer. Les lettrés les enseignerent, les magistrats les prêcherent. Et, comme ils enveloppoient toutes les petites actions de la vie, lorsqu’on trouva moyen de les faire observer exactement, la Chine fut bien gouvernée.

Deux choses ont pu aisément graver les rites dans le cœur & l’esprit des Chinois ; l’une, leur maniere d’écrire extrêmement composée, qui a fait que, pendant une très-grande partie de la vie, l’esprit a été uniquement[2] occupé de ces rites, parce qu’il a fallu apprendre à lire dans les livres, & pour les livres qui les contenoient ; l’autre, que les préceptes des rites n’ayant rien de spirituel, mais simplement des regles d’une pratique commune, il est plus aisé d’en convaincre & d’en frapper les esprits, que d’une chose intellectuelle.

Les princes qui, au-lieu de gouverner par les rites, gouvernerent par la force des supplices, voulurent faire faire aux supplices ce qui n’est pas dans leur pouvoir, qui est de donner des mœurs. Les supplices retranche-


  1. Voyez les livres classiques, dont le pere du Halde nous a donné de si beaux morceaux.
  2. C’est ce qui a établi l’émulation, la fuite de l’oisiveté, & l’estime pour le sçavoir.