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cédémone & de la Chine confondirent les loix, les mœurs & les manieres : c’est que les mœurs représentent les loix, & les manieres représentent les mœurs.

Les législateurs de la Chine avoient pour principal objet de faire vivre leur peuple tranquille. Ils voulurent que les hommes se respectassent beaucoup ; que chacun sentît à tous les instans qu’il devoit beaucoup aux autres ; qu’il n’y avoit point de citoyen qui ne dépendît, à quelque égard, d’un autre citoyen. Ils donnerent donc aux regles de la civilité la plus grande étendue.

Ainsi, chez les peuples Chinois, on vit les gens[1] de village observer entre eux des cérémonies comme les gens d’une condition relevée : moyen très-propre à inspirer la douceur, à maintenir parmi le peuple la paix & le bon ordre, & à ôter tous les vices qui viennent d’un esprit dur. En effet, s’affranchir des regles de la civilité, n’est-ce pas chercher le moyen de mettre ses défauts plus à l’aise ?

La civilité vaut mieux, à cet égard, que la politesse. La politesse flatte les vices des autres, & la civilité nous empêche de mettre les nôtres au jour : c’est une barriere que les hommes mettent entre eux pour s’empêcher de se corrompre.

Lycurgue, dont les institutions étoient dures, n’eut point la civilité pour objet lorsqu’il forma les manieres ; il eut en vue cet esprit belliqueux qu’il vouloit donner à son peuple. Des gens toujours corrigeant, ou toujours corrigés, qui instruisoient toujours, & étoient toujours instruits, également simples & rigides, exerçoient plutôt entre eux des vertus qu’ils n’avoient des égards.


  1. Voyez le pere du Halde.