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La société des femmes gâte les mœurs, & forme le goût : l’envie de plaire plus que les autres établit les parures ; & l’envie de plaire plus que soi-même établit les modes. Les modes sont un objet important : à force de se rendre l’esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son commerce[1].


CHAPITRE IX.

De la vanité & de l’orgueil des nations.


LA vanité est un aussi bon ressort pour un gouvernement, que l’orgueil en est un dangereux. Il n’y a pour cela qu’à le représenter, d’un côté, les biens sans nombre qui résultent de la vanité ; de-là le luxe, l’industrie, les arts, les modes, la politesse, le goût : &, d’un autre côté, les maux infinis qui naissent de l’orgueil de certaines nations ; la paresse, la pauvreté, l’abandon de tout, la destruction des nations que le hasard a fait tomber entre leurs mains, & de la leur même. La paresse[2] est l’effet de l’orgueil ; le travail est une suite de la vanité : l’orgueil d’un Espagnol le portera à ne pas travailler ; la vanité d’un François le portera à sçavoir travailler mieux que les autres.

Toute nation paresseuse est grave ; car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent.


  1. Voyez la fable des abeilles.
  2. Les peuples qui suivent le kan de Malacamber, ceux de Camataca & de Coromandel, sont des peuples orgueilleux & paresseux ; ils consomment peu, parce qu’ils sont misérables au lieu que les Mogols & les peuples de l’Indostan s’occupent & jouissent des commodités de la vie, comme les Européens. Recueil des voyages qui ont servi a l’établissement de la compagnie des Indes, tome I, pag. 54.