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Persanes, y conserveront toujours le mérite du caractere original qu’on a sçu leur donner : mérite d’autant plus réel, qu’il vient ici du génie seul de l’écrivain, & non du voile étranger dont il s’est couvert ; car Usbek a pris, durant son séjour en France, non-seulement une connoissance si parfaite de nos mœurs, mais une si forte teinture de nos manieres même, que son style fait souvent oublier son pays. Ce léger défaut de vraisemblance peut n’être pas sans dessein & sans adresse : en relevant nos ridicules & nos vices, il a voulu sans doute aussi rendre justice à nos avantages. Il a senti toute la fadeur d’un éloge direct ; & il nous a plus finement loués, en prenant si souvent notre ton pour médire plus agréablement de nous.

Malgré le succès de cet ouvrage, monsieur de Montesquieu ne s’en étoit point déclaré ouvertement l’auteur. Peut-être croyoit-il échapper plus aisément par ce moyen à la satyre littéraire, qui épargne plus volontiers les écrits anonymes, parce que c’est toujours la personne, & non l’ouvrage, qui est le but de ses traits. Peut-être craignoit-il d’être attaqué sur le prétendu contraste des lettres Persanes avec l’austérité de sa place ; espece de reproche, disoit-il, que les critiques ne manquent jamais, parce qu’il ne demande aucun effort d’esprit. Mais son secret étoit découvert, & déja le public le montroit à l’académie Françoise. L’événement fit voir combien le silence de monsieur de Montesquieu avoit été sage. Usbek s’exprime quelquefois assez librement, non sur le fond du christianisme, mais sur des matieres que trop de personnes affectent de confondre avec le christianisme même ; sur l’esprit de persécution dont tant de chrétiens ont été animés ; sur les usurpations temporelles de la puissance ecclésiastique ; sur la multiplication excessive des monasteres, qui enleve des sujets à l’état, sans donner à dieu des adorateurs ; sur quelques opinions qu’on a vainement tenté d’ériger en dogmes ; sur nos