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néralement exclues de la succession des terres, il seroit impossible d’expliquer les histoires, les formules & les chartres, qui parlent continuellement des terres & des biens des femmes dans la premiere race.

On a eu tort de dire[1] que les terres saliques étoient des fiefs. 1°. Ce titre est intitulé des aleux. 2°. Dans les commencemens, les fiefs n’étoient point héréditaires. 3°. Si les terres saliques avoient été des fiefs, comment Marculfe, auroit-il traité d’impie la coutume qui excluoient les femmes d’y succéder, puisque les mâles mêmes ne succédoient pas aux fiefs ? 4°. Les chartres que l’on cite pour prouver que les terres saliques étoient des fiefs, prouvent seulement qu’elles étoient des terres franches. 5°. Les fiefs ne furent établis qu’après la conquête ; & les usages saliques existoient avant que les Francs partissent de la Germanie. 6°. Ce ne fut point la loi salique qui, en bornant la succession des femmes, forma l’établissement des fiefs ; mais ce fut l’établissement des fiefs qui mit des limites à la succession des femmes & aux dispositions de la loi salique.

Après ce que nous venons de dire, on ne croiroit pas que la succession personnelle des mâles à la couronne de France pût venir de la loi salique. Il est pourtant indubitable qu’elle en vient. Je le prouve par les divers codes des peuples barbares. La loi salique[2] & la loi des Bourguignons[3] ne donnerent point aux filles le droit de succéder à la terre avec leurs freres ; elles ne succéderent pas non plus à la couronne. La loi des Wisigoths[4], au contraire, admit les filles[5] à succéder aux terres avec leurs freres ; les femmes furent capables de succéder à la couronne. Chez ces peuples,

la

  1. Du Cange, Pithou, &c.
  2. Tit. 62.
  3. Tit. 1, §. 3 ; tit. 14, §. 1 ; & tit. 51.
  4. Liv. 4, tit. 2, §. 1.
  5. Les nations Germaines, dit Tacite, avoient des usages communs ; elles en avoient aussi de particuliers.