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& tous ses sujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un esclavage civil ; ils seroient à charge à une nation simple, qui n’a point de terres à cultiver, & n’a besoin d’aucun service domestique. Ils augmentent donc la nation. Mais, au lieu de l’esclavage civil, on conçoit que l’esclavage politique a dû s’introduire.

En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre, & se conquierent sans cesse les unes les autres ; dans un pays où, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut gueres être libre ; car il n’y en a pas une seule partie qui ne doive avoir été un très-grand nombre de fois subjugée.

Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté, lorsque, par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités après leur défaite. Mais les Tartares, toujours sans défense, vaincus une fois, n’ont jamais pu faire des conditions.

J’ai dit, au chapitre II, que les habitans des plaines cultivées n’étoient gueres libres : des circonstances sont que les Tartares, habitant une terre inculte, sont dans le même cas.


CHAPITRE XX.

Du droit des gens des Tartares.


LES Tartares paroissent entre eux doux & humains ; & ils sont des conquérans très-cruels : ils passent au fil de l’épée les habitans des villes qu’ils prennent ; ils croient leur faire grace, lorsqu’ils les vendent ou les distribuent à leurs soldats. Ils ont détruit l’Asie depuis les Indes jusqu’à la Méditerranée ; tout le pays, qui forme l’orient de la Perse, en est resté désert.

Voici ce qui me paroît avoir produit un pareil droit des gens. Ces peuples n’avoient point de villes ; toutes leurs guerres se faisoient avec promptitude & avec