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CHAPITRE III.

Quels sont les pays les plus cultivés.


LES pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté : &, si l’on divise la terre par la pensée, on sera étonné de voir, la plupart du temps, des déserts dans ses parties les plus fertiles, & de grands peuples dans celles où le terrein semble refuser tout.

Il est naturel qu’un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, & non pas qu’il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invasions se font donc dans les pays que la nature avoit faits pour être heureux : &, comme rien n’est plus près de la dévastation que l’invasion, les meilleurs pays sont le plus souvent dépeuplés, tandis que l’affreux pays du nord reste toujours habité, par la raison qu’il est presque inhabitable.

On voit, par ce que les historiens nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les bords du Danube, que ce n’étoit point une conquête, mais seulement une transmigration dans des terres désertes.

Ces climats heureux avoient donc été dépeuplés par d’autres transmigrations, & nous ne sçavons pas les choses tragiques qui s’y sont passées.

"Il paroît par plusieurs monumens, dit Aristote[1], que la Sardaigne est une colonie Grecque. Elle étoit autrefois très-riche : & Aristée, dont on a tant vanté l’amour pour l’agriculture, lui donna des loix. Mais elle a bien déchu depuis ; car les Carthaginois s’en étant rendus les maîtres, ils y détruisirent tout ce qui pouvoit la rendre propre à la nourriture des hommes, & défendirent, sous peine de la vie, d’y cultiver la terre." La


  1. Ou celui qui a écrit le livre de mirabilibus.