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CHAPITRE IV.

De la polygamie. Ses diverses circonstances.


SUIVANT les calculs que l’on fait en divers endroits de l’Europe, il y naît plus de garçons que de filles[1] : au contraire, les relations de l’Asie[2] & de l’Afrique[3] nous disent qu’il y naît beaucoup plus de filles que de garçons. La loi d’une seule femme en Europe, & celle qui en permet plusieurs en Asie & en Afrique, ont donc un certain rapport au climat.

Dans les climats froids de l’Asie, il naît, comme en Europe, plus de garçons que de filles. C’est, disent les Lamas[4], la raison de la loi qui, chez eux, permet à une femme d’avoir plusieurs maris[5].

Mais je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de pays où la disproportion soit assez grande, pour qu’elle exige qu’on y introduise la loi de plusieurs femmes, ou la loi de plusieurs maris. Cela veut dire seulement que la pluralité des femmes, ou même la pluralité des hommes, s’éloigne moins de la nature dans de certains pays que dans d’autres.

J’avoue que, si ce que les relations nous disent étoit vrai, qu’à Bantam[6] il y a dix femmes pour un


  1. M. Arbutnot trouve qu’en Angleterre le nombre des garçons excede celui des filles : on a eu tort d’en conclure que ce fût la même chose dans tous les climats.
  2. Voyez Kempfer, qui nous rapporte un dénombrement de Méaco, où l’on trouve 182072 mâles, & 223573 femelles.
  3. Voyez le voyage de Guinée de M. Smith, partie seconde, sur le pays d’Anté.
  4. Du Halde, mémoires de la Chine, tom. IV, pag. 46.
  5. Albuzeïr-el-hassen, un des deux mahométans Arabes qui allerent aux Indes & à la Chine au neuvieme siecle, prend cet usage pour une prostitution. C’est que rien ne choquoit tant les idées mahométanes.
  6. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tom. I.