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l’obtenir, la beauté n’est plus. Les femmes doivent être dans la dépendance : car la raison ne peut leur procurer, dans leur vieillesse, un empire que la beauté ne leur avoit pas donné dans la jeunesse même. Il est donc très-simple qu’un homme, lorsque la religion ne s’y oppose pas, quitte sa femme pour en prendre une autre, & que la polygamie s’introduise.

Dans les pays tempérés, où les agrémens des femmes se conservent mieux, où elles sont plus tard nubiles, & où elles ont des enfans dans un âge plus avancé, la vieillesse de leur mari suit, en quelque façon, la leur : &, comme elles y ont plus de raison & de connoissances quand elles se marient, ne fût-ce que parce qu’elles ont plus long-temps vécu, il a dû naturellement s’introduire une espece d’égalité dans les deux sexes, & par conséquent la loi d’une seule femme.

Dans les pays froids, l’usage presque nécessaire des boissons fortes établit l’intempérance parmi les hommes. Les femmes, qui ont à cet égard une retenue naturelle, parce qu’elles ont toujours à se défendre, ont donc encore l’avantage de la raison sur eux.

La nature qui a distingué les hommes par la force & par la raison, n’a mis à leur pouvoir de terme que celui de cette force & de cette raison. Elle a donné aux femmes les agrémens, & a voulu que leur ascendant finît avec ces agrémens : mais, dans les pays chauds, ils ne se trouvent que dans les commencemens, & jamais dans le cours de leur vie.

Ainsi la loi qui ne permet qu’une femme se rapporte plus au physique du climat de l’Europe, qu’au physique du climat de l’Asie. C’est une des raisons qui a fait que le mahométisme a trouvé tant de facilité à s’établir en Asie, & tant de difficulté à s’étendre en Europe, que le christianisme s’est maintenu en Europe, & a été détruit en Asie ; & qu’enfin les mahométans font tant de progrès à la Chine, & les chrétiens si peu. Les raisons humaines sont toujours subordonnées à cette cause suprême, qui fait tout ce qu’elle veut, & se sert de tout ce qu’elle veut.