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Ce fut cette maniere de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans les crimes[1]. C’est sur cette idée qu’ils fonderent le droit de rendre tant de peuples esclaves ; car ces brigands, qui vouloient absolument être brigands & chrétiens, étoient très-dévots.

Louis XIII[2] se fit une peine extrême de la loi qui rendoit esclaves les negres de ses colonies : mais, quand on lui eut bien mis dans l’esprit que c’étoit la voie la plus sûre pour les convertir, il y consentit.


CHAPITRE V.

De l’esclavage des negres.


SI j’avois à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les negres esclaves, voici ce que je dirois.

Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.

Le sucre seroit trop cher, si l’on ne faisoit travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; & ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque, impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l’esprit que dieu, qui est un être très-sage, ait mis une ame, sur-tout une ame bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des

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  1. Voyez l’histoire de la conquête du Mexique, par Salis ; & celle du Pérou, par Garcilasso de la Vega.
  2. Le pere Labat, nouveau voyage aux isles de l’Amérique, tom. IV, pag. 114, 1722, in-12.