Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE II.

Origine du droit de l’esclavage, chez les jurisconsultes Romains.


ON ne croiroit jamais que c’eût été la pitié qui eût établi l’esclavage ; & que, pour cela, elle s’y fût prise de trois manieres[1].

Le droit des gens a voulu que les prisonniers fussent esclaves, pour qu’on ne les tuât pas. Le droit civil des Romains permit à des débiteurs, que leurs créanciers pouvoient maltraiter, de se vendre eux-mêmes : & le droit naturel a voulu que des enfans, qu’un pere esclave ne pouvoit plus nourrir, fussent dans l’esclavage comme leur pere.

Ces raisons des jurisconsultes ne sont point sensées. Il est faux qu’il soit permis de tuer dans la guerre, autrement que dans le cas de nécessité : mais, dès qu’un homme en a fait un autre esclave, on ne peut pas dire qu’il ait été dans la nécessité de le tuer, puisqu’il ne l’a pas fait. Tout le droit que la guerre peut donner sur les captifs, est de s’assurer tellement de leur personne, qu’ils ne puissent plus nuire. Les homicides faits de sang-froid par les soldats, & après la chaleur de l’action, sont rejettés de toutes les nations[2] du monde.

2°. Il n’est pas vrai qu’un homme libre puisse se vendre. La vente suppose un prix : l’esclave se vendant, tous ses biens entreroient dans la propriété du maître, le maître ne donneroit donc rien, & l’esclave ne recevroit rien. Il auroit un pécule, dira-t-on : mais le pécule est accessoire à la personne. S’il n’est pas permis de se tuer, parce qu’on se dérobe à sa patrie, il n’est pas plus permis de se vendre. La liberté de chaque citoyen est une partie de la liberté publique. Cette qualité,


  1. Instit. de Justinien, liv. I.
  2. Si l’on ne veut citer celles qui mangent leurs prisonniers.