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La servitude commence toujours par le sommeil. Mais un peuple qui n’a de repos dans aucune situation, qui se tâte sans cesse, & trouve tous les endroits douloureux, ne pourroit gueres s’endormir.

La politique est une lime sourde, qui use & qui parvient lentement à sa fin. Or, les hommes dont nous venons de parler ne pourroient soutenir les lenteurs, les détails, le sang-froid des négociations, ils y réussiroient souvent moins que toute autre nation ; & ils perdroient, par leurs traités, ce qu’ils auroient obtenu par leurs armes.


CHAPITRE XIV.

Autres effets du climat.


NOS peres, les anciens Germains, habitoient un climat où les passions étoient très-calmes. Leurs loix ne trouvoient, dans les choses, que ce qu’elles voyoient, & n’imaginoient rien de plus. Et, comme elles jugeoient des insultes faites aux hommes par la grandeur des blessures, elles ne mettoient pas plus de rafinement dans les offenses faites aux femmes. La loi des Allemands[1] est là-dessus fort singuliere. Si l’on découvre une femme à la tête, on paiera une amende de six sols ; autant si c’est à la jambe jusqu’au genou ; le double depuis le genou. Il semble que la loi mesuroit la grandeur des outrages faits à la personne des femmes, comme on mesure une figure de géométrie ; elle ne punissoit point le crime de l’imagination, elle punissoit celui des yeux. Mais, lorsqu’une nation Germanique se fut transportée en Espagne, le climat trouva bien d’autres loix. La loi des Wisigoths défendit aux médecins de saigner une femme ingénue qu’en présence de son pere ou de sa mere,


  1. Chap. LVIII, §. 1 & 2.