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délicatesse d’organes, qui leur fait craindre la mort, sert aussi à leur faire redouter mille choses plus que la mort. C’est la même sensibilité, qui leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver.

Comme une bonne éducation est plus nécessaire aux enfans, qu’à ceux dont l’esprit est dans sa maturité ; de même, les peuples de ces climats ont plus besoin d’un législateur sage, que les peuples du nôtre. Plus on est aisément & fortement frappé, plus il importe de l’être d’une maniere convenable, de ne recevoir pas des préjugés, & d’être conduit par la raison.

Du temps des Romains, les peuples du nord de l’Europe vivoient sans art, sans éducation, presgue sans loix : & cependant, par le seul bon sens attaché aux fibres grossieres de ces climats, ils se maintinrent avec une sagesse admirable contre la puissance Romaine, jusqu’au moment où ils sortirent de leurs forêts pour la détruire.


CHAPITRE IV.

Cause de l’immutabilité de la religion, des mœurs, des manieres, des loix, dans les pays d’orient.


SI, avec cette foiblesse d’organes qui fait recevoir aux peuples d’orient les impressions du monde les plus fortes, vous joignez une certaine paresse dans l’esprit, naturellement liée avec celle du corps, qui fasse que cet esprit ne soit capable d’aucune action, d’aucun effort, d’aucune contention ; vous comprendrez que l’ame, qui a une fois reçu des impressions, ne peut plus en changer. C’est ce qui fait que les loix, les mœurs[1], &


  1. On voit, par un fragment de Nicolas de Damas, recueilli par Constantin Porphyrogénete, que la coutume étoit ancienne en orient d’envoyer étrangler un gouverneur qui déplaisoit ; elle étoit du temps des Medes.