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cusé, c’est une preuve qu’ils ont sujet de les craindre ; & la moindre peine qu’on puisse leur infliger, c’est de ne les point croire. On ne peut y faire d’attention que dans les cas qui ne sçauroient souffrir les lenteurs de la justice ordinaire, & où il s’agit du salut du prince. Pour lors, on peut croire que celui qui accuse a fait un effort qui a délié sa langue, & l’a fait parler. Mais, dans les autres cas, il faut dire avec l’empereur Constance : "Nous ne sçaurions soupçonner celui à qui il a manqué un accusateur, lorsqu’il ne lui manquoit pas un ennemi[1]."


CHAPITRE XXV.

De la maniere de gouverner, dans la monarchie.


L’AUTORITÉ royale est un grand ressort, qui doit se mouvoir aisément & sans bruit. Les Chinois vantent un de leurs empereurs, qui gouverna, disent-ils, comme le ciel ; c’est-à-dire, par son exemple.

Il y a des cas où la puissance doit agir dans toute son étendue : il y en a où elle doit agir par ses limites. Le sublime de l’administration est de bien connoître quelle est la partie du pouvoir, grande ou petite, que l’on doit employer dans les diverses circonstances.

Dans nos monarchies, toute la félicité consiste dans l’opinion que le peuple a de la douceur du gouvernement. Un ministre mal-habile veut toujours vous avertir que vous êtes esclaves. Mais, si cela étoit, il devroit chercher à le faire ignorer. Il ne sçait vous dire ou vous écrire, si ce n’est que le prince est fâché ; qu’il est surpris ; qu’il mettra ordre. Il y a une certaine facilité dans le commandement : il faut que le prince encourage, & que ce soient les loix qui menacent[2].


  1. Leg. VI, cod. Théod. de famosis libell.
  2. Nerva, dit Tacite, augmenta la facilité de l’empire.