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embarrassé à jouer son rôle. Quand il voit qu’en général les loix sont dans leur force, & qu’elles sont respectées, il peut se juger en sûreté. L’allure générale lui répond de celle de tous les particuliers. Qu’il n’ait aucune crainte, il ne sçauroit croire combien on est porté à l’aimer. Eh ! pourquoi ne l’aimeroit-on pas ? Il est la source de presque tout le bien qui se fait ; & quasi toutes les punitions sont sur le compte des loix. Il ne se montre jamais au peuple qu’avec un visage serein : sa gloire même se communique à nous, & sa puissance nous soutient. Une preuve qu’on l’aime, c’est que l’on a de la confiance en lui ; & que, lorsqu’un ministre refuse, on s’imagine toujours que le prince auroit accordé. Même dans les calamités publiques, on n’accuse point sa personne ; on se plaint de ce qu’il ignore, ou de ce qu’il est obsédé par des gens corrompus. Si le prince sçavoit ! dit le peuple. Ces paroles sont une espece d’invocation, & une preuve de la confiance qu’on a en lui.


CHAPITRE XXIV.

Des lettres anonymes.


LES Tartares sont obligés de mettre leur nom sur leurs fleches, afin que l’on connoisse la main dont elles partent. Philippe de Macédoine ayant été blessé au siege d’une ville, on trouva sur le javelot, Aster a porté ce coup mortel à Philippe[1]. Si ceux qui accusent un homme le faisoient en vue du bien public, ils ne l’accuseroient pas devant le prince, qui peut être aisément prévenu, mais devant les magistrats, qui ont des regles qui ne sont formidables qu’aux calomniateurs. Que s’ils ne veulent pas laisser les loix entre eux & l’ac-


  1. Plutarque, œuvres morales, collat. de quelques histoires Romaines & Grecques, tome II, pag. 487.