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CHAPITRE XXII.

Des choses qui attaquent la liberté, dans la monarchie.


La chose du monde la plus inutile au prince a souvent affoibli la liberté dans les monarchies : les commissaires nommés quelquefois pour juger un particulier.

Le prince tire si peu d’utilité des commissaires, qu’il ne vaut pas la peine qu’il change l’ordre des choses pour cela. Il est moralement sûr qu’il a plus l’esprit de probité & de justice que ses commissaires, qui se croient toujours assez justifiés par ses ordres, par un obscur intérêt de l’état, par le choix qu’on a fait d’eux, & par leurs craintes mêmes.

Sous Henri VIII, lorsqu’on faisoit le procès à un pair, on le faisoit juger par des commissaires tirés de la chambre des pairs : avec cette méthode, on fit mourir tous les pairs qu’on voulut.


CHAPITRE XXIII.

Des espions, dans la monarchie.


FAUT-IL des espions dans la monarchie ? Ce n’est pas la pratique ordinaire des bons princes. Quand un homme est fidele aux loix, il a satisfait à ce qu’il doit au prince. Il faut, au moins, qu’il ait sa maison pour asyle, & le reste de sa conduite en sûreté. L’espionnage seroit peut-être tolérable, s’il pouvoit être exercé par d’honnêtes gens ; mais l’infamie nécessaire de la personne peut faire juger de l’infamie de la chose. Un prince doit agir, avec ses sujets, avec candeur, avec franchise, avec confiance. Celui qui a tant d’inquiétudes, de soupçons & de craintes, est un acteur qui