Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XIX.

Comment on suspend l’usage de la liberté, dans la république.


IL y a, dans les états où l’on fait le plus de cas de la liberté, des loix qui la violent contre un seul, pour la garder à tous. Tels sont, en Angleterre, les bills appellés d’atteindre[1]. Ils se rapportent à ces loix d’Athenes, qui statuoient contre un particulier[2], pourvu qu’elles fussent faites par le suffrage de six mille citoyens. Ils se rapportent à ces loix qu’on faisoit à Rome contre des citoyens particuliers, & qu’on appelloit privileges[3]. Elles ne se faisoient que dans les grands états du peuple. Mais, de quelque maniere que le peuple les donne, Cicéron veut qu’on les abolisse, parce que la force de la loi ne consiste qu’en ce qu’elle statue sur tout le monde[4]. J’avoue pourtant que l’usage des


  1. Il ne suffit pas, dans les tribunaux du royaume, qu’il y ait une preuve telle que les juges soient convaincus : il faut encore que cette preuve soit formelle, c’est-à-dire, légale : & la loi demande qu’il y ait deux témoins contre l’accusé : une autre preuve ne suffiroit pas. Or, si un homme, présumé coupable de ce qu’on appelle haut-crime, avoit trouvé le moyen d’écarter les témoins, de sorte qu’il fût impossible de le faire condamner par la loi, on pourroit porter contre lui un bill particulier d’atteindre ; c’est-à-dire, faire une loi singuliere sur sa personne. On y procede comme pour tous les autres bills : il faut qu’il passe dans deux chambres, & que le roi y donne son consentement ; sans quoi, il n’y a point de bill, c’est—à-dire, de jugement. L’accusé peut faire parler ses avocats contre le bill ; & on peut parler dans la chambre pour le bill.
  2. Legem de singulari aliquo ne rogato, nisi sex millibus ità visum. Ex Andocide, de misteriis : c’est l’ostracisme.
  3. De privis hominibus latæ. Cicéron de leg. liv. III.
  4. Scitum est jussum in omnes. Cicéron, ibid.