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les ouvrages satiriques. Les magistrats y sont de petits souverains, qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si, dans la monarchie, quelque trait va contre le monarque, il est si haut, que le trait n’arrive point jusqu’à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. Aussi les décemvirs, qui formoient une aristocratie ; punirent-ils de mort les écrits satiriques[1].


CHAPITRE XIV.

Violation de la pudeur, dans la punition des crimes.


Il y a des regles de pudeur observées chez presque toutes les nations du monde : il seroit absurde de les violer dans la punition des crimes, qui doit toujours avoir pour objet le rétablissement de l’ordre.

Les orientaux, qui ont exposé des femmes à des éléphans dressés pour un abominable genre de supplice, ont-ils voulu faire violer la loi par la loi ?

Un ancien usage des Romains défendoit de faire mourir les filles qui n’étoient pas nubiles. Tibere trouva l’expédient de les faire violer par le bourreau, avant de les envoyer au supplice[2]. Tyran subtil & cruel ! il détruisit les mœurs pour conserver les coutumes.

Lorsque la magistrature Japonoise a fait exposer dans les places publiques les femmes nues, & les a obligées de marcher à la maniere des bêtes, elle a fait frémir la pudeur[3] : mais, lorsqu’elle a voulu contraindre une mere… lorsqu’elle a voulu contraindre un fils… je ne puis achever ; elle a fait frémir la nature même[4].


  1. La loi des douze-tables.
  2. Suetonius, in Tiberio.
  3. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tome V, partie II.
  4. Ibid. pag. 496.