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damné à mort, pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à sa personne ; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l’empire, & offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses.

Je ne prétends point diminuer l’indignation que l’on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince : mais je dirai bien que, si l’on veut modérer le despotismne, une simple punition correctionnelle conviendra mieux, dans ces occasions, qu’une accusation de lese-majesté toujours terrible à l’innocence même[1].

Les actions ne sont pas de tous les jours ; bien des gens peuvent les remarquer : une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles, qui sont jointes à une action, prennent la nature de cette action. Ainsi un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte, devient coupable de lese-majesté ; parce que les paroles sont jointes à l’action, & y participent. Ce ne sont point les paroles que l’on punit ; mais une action commise, dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes, que lorsqu’elles préparent, qu’elles accompagnent, ou qu’elles suivent une action criminelle. On renverse tout, si l’on fait des paroles un crime capital, au lieu de les regarder comme le signe d’un crime capital.

Les empereurs Théodose, Arcadius, & Honorius, écrivirent à Ruffin, préfet du prétoire : "Si quelqu’un parle mal de notre personne ou de notre gouvernement, nous ne voulons point le punir[2] : s’il a parlé par légèreté, il faut le mépriser ; si c’est par folie, il faut le plaindre ; si c’est une injure, il faut lui pardonner. Ainsi, laissant les choses dans leur entier, vous nous en donnerez con-


  1. Nec lubricum linguæ ad pœnam facilè trabendum est. Modestin, dans la loi 7, §. 3, ff. ad leg. Jul. maj.
  2. Si id ex levitate processerit, contemnendum est ; si ex insanid, miseratione dignissimum ; si ab injuriâ, remittendum. Leg. unicà, cod. si quis imperat. maled.