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CHAPITRE II.

De la liberté du citoyen.


LA liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systêmes) dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté. La liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté.

Cette sûreté n’est jamais plus attaquée que dans les accusations publiques ou privées. C’est donc de la bonté des loix criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen.

Les loix criminelles n’ont pas été perfectionnées tout d’un coup. Dans les lieux mêmes où l’on a le plus cherché la liberté, on ne l’a pas toujours trouvée. Aristote[1] nous dit qu’à Cumes, les parens de l’accusateur pouvoient être témoins. Sous les rois de Rome, la loi étoit si imparfaite, que Servius Tullius prononça la sentence contre les enfans d’Ancus Martius accusé d’avoir assassiné le roi son beau-pere[2]. Sous les rois des Francs, Clotaire fit une loi[3] pour qu’un accusé ne pût être condamné sans être oui ; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier, ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduisit les jugemens contre les faux témoignages[4]. Quand l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus.

Les connoissances que l’on a acquises dans quelques pays, & que l’on acquerra dans d’autres, sur les regles les plus sûres que l’on puisse tenir dans les jugemens


  1. Politique, liv. II.
  2. Tarquinius Priscus. Voyez Denys d’Halicarnasse, liv. IV.
  3. De l’an 560.
  4. Aristote, polit. liv. II, chapitre XII. Il donna ses loix à Thurium, dans la quatre-vingt-quatrieme olympiade.