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bres, & ceux qui étoient esclaves étoient extrêmement esclaves.

Pendant que les citoyens payoient des tributs, ils étoient levés avec une équité très-grande On suivoit l’établissement de Servius Tullius, qui avoit distribué tous les citoyens en six classes, selon l’ordre de leurs richesses, & fixé la part de l’impôt à proportion de celle que chacun avoit dans le gouvernement. Il arrivoit de-là qu’on souffroit la grandeur du tribut, à cause de la grandeur du crédit ; & que l’on se consoloit de la petitesse du crédit, par la petitesse du tribut.

Il y avoit encore une chose admirable : c’est que la division de Servius Tullius par classe étant, pour ainsi dire, le principe fondamental de la constitution ; il arrivoit que l’équité, dans la levée des tributs, tenoit au principe fondamental du gouvernement, & ne pouvoit être ôtée qu’avec lui.

Mais, pendant que la ville payoit les tributs sans peine, ou n’en payoit point du tout[1], les provinces étoient désolées par les chevaliers, qui étoient les traitans de la république. Nous avons parlé de leurs vexations, & toute l’histoire en est pleine.

"Toute l’Asie m’attend comme son libérateur, disoit Mithridate[2], tant ont excité de haine contre les Romains les rapines des proconsuls[3], les exactions des gens d’affaires, & les calomnies des jugemens[4]."

Voilà ce qui fit que la force des provinces n’ajouta rien à la force de la république, & ne fit au contraire que l’affoiblir. Voilà ce qui fit que les provinces regarderent la perte de la liberté de Rome comme l’époque de l’établissement de la leur.


  1. Après la conquête de la Macédoine, les tributs cesserent à Rome.
  2. Harangue tirée de Trogue Pompée, rapportée par Justin, liv. XXXVIII.
  3. Voyez les oraisons contre Verrès.
  4. On sçait que ce fut le tribunal de Varrus qui fit révolter les Germains.