Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sicile des troupes d’esclaves pour labourer leurs champs, & avoir soin de leurs troupeaux ; ils leur refusoient la nourriture. Ces malheureux étoient obligés d’aller voler sur les grands chemins, armés de lances & de massues, couverts de peaux de bêtes, de grands chiens autour d’eux. Toute la province fut dévastée, & les gens du pays ne pouvoient dire avoir en propre que ce qui étoit dans l’enceinte des villes. Il n’y avoit ni proconsul, ni prêteur, qui pût ou voulût s’opposer à ce désordre, & qui osât punir ces esclaves, parce qu’ils appartenoient aux chevaliers qui avoient à Rome les jugemens[1]. Ce fut pourtant une des causes de la guerre des esclaves. Je ne dirai qu’un mot : une profession qui n’a, ni ne peut avoir d’objet que le gain ; une profession qui demandoit toujours, & à qui on ne demandoit rien ; une profession sourde & inexorable, qui appauvrissoit les richesles & la misere même, ne devoit point avoir à Rome les jugemens.


CHAPITRE XIX.

Du gouvernement des provinces Romaines.


C’EST ainsi que les trois pouvoirs furent distribués dans la ville : mais il s’en faut bien qu’ils le fussent de même dans les provinces. La liberté étoit dans le centre, & la tyrannie aux extrémités.

Pendant que Rome ne domina que dans l’Italie, les peuples furent gouvernés comme des confédérés : on suivoit les loix de chaque république. Mais, lorsqu’elle conquit plus loin, que le sénat n’eut pas immédiatement l’œil sur les provinces, que les magistrats qui étoient à Rome ne purent plus gouverner l’empire, il fallut en-

  1. Penès quos Romæ cùm judicia erant, atque ex equestri ordine solerent sortitò judices eligi in caussà prætorum & proconsulum, quibus, post administratam provinciam, dies dicta erat.