Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on ne pourroit décider de la vie d’un citoyen, que dans les grands états du peuple[1]. Ainsi, le corps des plébéiens, ou, ce qui est la même chose ; les comices par tribus ne jugerent plus que les crimes dont la peine n’étoit qu’une amende pécuniaire. Il falloit une loi pour infliger une peine capitale : pour condamner à une peine pécuniaire, il ne falloit qu’un plébiscite.

Cette disposition de la loi des douze-tables fut très-sage. Elle forma une conciliation admirable entre le corps des plébéiens et le sénat. Car, comme la compétence des uns & des autres dépendit de la grandeur de la peine, & de la nature du crime, il fallut qu’ils se concertassent ensemble.

La loi Valérienne ôta tout ce qui restoit à Rome du gouvernement qui avoit du rapport à celui des rois Grecs des temps héroïques. Les consuls le trouverent sans pouvoir pour la punition des crimes. Quoique tous les crimes soient publics, il faut pourtant distinguer ceux qui intéressent plus les citoyens entre eux, de ceux qui intéressent plus l’état dans le rapport qu’il a avec un citoyen. Les premiers sont appellés privés ; les seconds, sont les crimes publics. Le peuple jugea lui-même les crimes publics ; &, à l’égard des privés, il nomma, pour chaque crime, par une commission particuliere, un questeur, pour en faire la poursuite. C’étoit souvent un des magistrats, quelquefois un homme privé, que le peuple choisissoit. On l’appelloit questeur du parricide. Il en est fait mention dans la loi des douze-tables[2].

Le questeur nommoit ce qu’on appelloit le juge de la question, qui tiroit au sort les juges, formoit le tribunal, & présidoit sous lui au jugement[3].


  1. Les comices par centuries. Aussi Manlius Capitolinus fut-il jugé dans ces comices. Tite Live, decade premiere, liv. VI, pag. 68.
  2. Dit Pomponius, dans la loi 2, au digeste de orig. jur.
  3. Voyez un fragment d’Ulpien, qui en rapporte un autre de la loi Cornélienne : on le trouve dans la collation des loix Mosaïques & Romaines. tit. I, de sicariis & homicidiis.