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juges, & de former les tribunaux qui devoient juger. Il paroît, par le discours d’Appius Claudius dans Denys d’Halicarnasse[1], que, dès l’an de Rome 259, ceci etoit regardé comme une coutume etablie chez les Romains ; & ce n’est pas la faire remonter bien haut, que de la rapporter à Servius Tullius.

Chaque année, le préteur formoit une liste[2] ou tableau de ceux qu’il choisissoit pour faire la fonction de juges pendant l’année de sa magistrature. On en prenoit le nombre suffisant pour chaque affaire. Cela se pratique à peu près de même en Angleterre. Et ce qui étoit très-favorable à la[3] liberté, c’est que le préteur prenoit les juges du contentement[4] des parties. Le grand nombre de récusations que l’on peut faire aujourd’hui en Angleterre, revient à peu près à cet usage.

Ces juges ne décidoient que des questions de fait[5] : par exemple, il une somme avoit été payée, ou non ; si une action avoit été commise, ou non. Mais, pour les questions de droit[6], comme elles demamdoient une certaine capacité, elles étoient portées au tribunal des centumvirs[7].

Les rois se réserverent le jugement des affaires criminelles, & les consuls leur succéderent en cela. Ce fut en conséquence de cette autorité, que le consul Brutus


  1. Liv. VI, pag. 360.
  2. Album judicium.
  3. Nos ancêtres n’ont pas voulu, dit Cicéron, pro Cluentio, qu’un homme, dont les parties ne seroient pas convenues, pût être juge, non seulement de la réputation d’un citoyen, mais même de la moindre affaire pécuniaire.
  4. Voyez, dans les fragmens de la loi Servilienne, de la Cornélienne, & autres, de quelle maniere ces loix donnoient des juges dans les crimes qu’elles se proposoient de punir. Souvent ils étoient pris par le choix, quelquefois par le sort, ou enfin par le sort mêlé avec le choix
  5. Séneque, de benef. livre III, chap. VII, in fine.
  6. Voyez Quintilien, livre IV. page 54, in-folio, édit. de Paris, l541.
  7. Leg. 2, §. 24, ff. de orig. jur. Des magistrats, appellés décemvirs, présidoient au jugement, le tout sous la direction d’un prêteur.