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tions admirables. Elle en avoit deux sur-tout ; par l’une, la puissance législative du peuple étoit réglée ; par l’autre, elle étoit bornée.

Les censeurs, & avant eux les consuls[1], formoient & créoient, pour ainsi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple ; ils exerçoient la législation sur le corps même qui avoit la puissance législative.

"Tiberius Gracchus, censeur, dit Cicéron, transféra les affranchis dans les tribus de la ville, non par la force de son éloquence, mais par une parole & par un geste : &, s’il ne l’eût pas fait, cette république, qu’aujourd’hui nous soutenons à peine, nous ne l’aurions plus."

D’un autre côté, le sénat avoit le pouvoir d’ôter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple, par la création d’un dictateur, devant lequel le souverain baissoit la tête, & les loix les plus populaires restoient dans le silence[2].


CHAPITRE XVII.

De la puissance exécutrice, dans la même république


SI les peuple fut jaloux de sa puissance législative, il le fut moins de sa puissance exécutrice. Il la laissa presque toute entiere au sénat & aux consuls ; & il ne se réserva gueres que le droit d’élire les magistrats, & de confirmer les actes du sénat & des généraux.

Rome, dont la passion étoit de commander, dont l’ambition étoit de tout soumettre, qui avoit toujours usurpé, qui usurpoit encore, avoit continuellement de

  1. L’an 312 de Rome, les consuls faisoient encore le cens, comme il paroît par Denys d’Halicarnasse, liv. XI.
  2. Comme celles qui permettoient d’appeller au peuple des ordonnances de tous les magistrats.