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CHAPITRE XVI.

De la puissance législative, dans la république Romaine.


ON n’avoit point de droits à se disputer sous les décemvirs : mais, quand la liberté revint, on vit les jalousies renaître ; tant qu’il resta quelques privileges aux patriciens, les plébéiens les leur ôterent.

Il y auroit eu peu de mal, si les plébéiens s’étoient contentés de priver les patriciens de leurs prérogatives, & s’ils ne les avoient pas offensés dans leur qualité même de citoyens. Lorsque le peuple étoit assemblé par curies ou par centuries, il étoit composé de sénateurs, de patriciens & de plébéiens. Dans les disputes, les plébéiens gagnerent ce point[1], que seuls, sans les patriciens & sans le sénat, ils pourroient faire des loix qu’on appella plébiscites ; & les comices où on les fit s’appellerent comices par tribus. Ainsi il y eut des cas où les patriciens[2] n’eurent point de part à la puissance législative, &[3] où ils furent soumis à la puissance légillative d’un autre corps de l’état. Ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes mêmes de la démocratie. Il sembloit qu’une puissance aussi exorbitante auroit dû anéantir l’autorité du sénat : mais Rome avoit des institu-


  1. Denys d’Halicarnasse, liv. XI, pag. 725.
  2. Par les loix sacrées, les plébéiens purent faire des plébiscites, seuls, & sans que les patriciens fussent admis dans leur assemblée. Denys d’Halicarnasse, liv. VI, p. 410 ; & liv. VII, pag. 430.
  3. Par la loi faite après l’expulsion des décemvirs, les patriciens furent soumis aux plébiscites, quoiqu’ils n’eussent pu y donner leur voix. Tite Live, livre III ; & Denys d’Halicarnasse, livre XI, page 725. Et cette loi fut confirmée par celle de Publius Philo, dictateur, l’an de Rome 416. Tite Live, liv. VIII.