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Or le peuple chercha toujours à faire par curies les assemblées qu’on avoit coutume de faire par centuries, & à faire par tribus les assemblées qui se faisoient par curies ; ce qui fit passer les affaires, des mains des patriciens, dans celles des plébéiens.

Ainsi, quand les plébéiens eurent obtenu le droit de juger les patriciens, ce qui commença lors de l’affaire de Coriolan[1], les plébéiens voulurent les juger assemblés par tribus[2], & non par centuries : &, lorsqu’on établit en faveur du peuple les nouvelles magistratures[3] de tribuns & d’édiles, le peuple obtint qu’il s’assembleroit par curies pour les nommer ; &, quand sa puissance fut affermie, il obtint[4] qu’ils seroient nommés dans une assemblée par tribus.


CHAPITRE XV.

Comment, dans l’état florissant de la république, Rome perdit tout à coup sa liberté.


DANS le feu des disputes entre les patriciens & les plébéiens, ceux-ci demanderent que l’on donnât des loix fixes, afin que les jugemens ne fussent plus l’effet d’une volonté capricieuse, ou d’un pouvoir arbitraire. Après bien des résistances, le sénat y acquiesça. Pour composer ces loix, on nomma des décemvirs. On crut qu’on devoit leur accorder un grand pouvoir, parce qu’ils avoient à donner des loix à des partis qui étoient presque incompatibles. On suspendit la nomination de tous les magistrats ; &, dans les comices, ils furent élus seuls administrateurs de la république. Ils se trouverent revêtus de la puissance consulaire & de la puissance tribu-

  1. Denys d’Halicarnasse, liv. VII.
  2. Contre l’ancien usage, comme on le voit dans Denys d’Halicarnasse, livre V, page 320.
  3. Liv. VI, p. 410 & 411.
  4. Liv. IX, pag. 605.