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sénat n’eut point de part à son élection, il se fit proclamer par le peuple. Il se dépouilla des jugemens[1] civils, &, ne se réserva que les criminels ; il porta directement au peuple toutes les affaires : il le soulagea des taxes, & en mit tout le fardeau sur les patriciens. Ainsi, à mesure qu’il affoiblissoit la puissance royale & l’autorité du sénat, il augmentoit le pouvoir du peuple[2].

Tarquin ne se fit élire ni par le sénat ni par le peuple. Il regarda Servius Tullius comme un usurpateur, & prit la couronne comme un droit héréditaire ; il extermina la plupart des sénateurs ; il ne consulta plus ceux qui restoient, & ne les appella pas même à ses jugemens[3]. Sa puissance augmenta : mais ce qu’il y avoit d’odieux dans cette puissance devint plus odieux encore : il usurpa le pouvoir du peuple ; il fit des loix sans lui ; il en fit même contre lui[4]. Il auroit réuni les trois pouvoirs dans sa personne : mais le peuple se souvint un moment qu’il étoit législateur, & Tarquin ne fut plus.


CHAPITRE XIII.

Réflexion générales sur l’état de Rome, après l’expulsion des rois.


ON ne peut jamais quitter les Romains : c’est ainsi qu’encore aujourd’hui, dans leur capitale, on laisse les nouveaux palais pour aller chercher des ruines ; c’est ainsi que l’œil, qui s’est reposé sur l’émail des prairies, aime à voir les rochers, & les montagnes.

  1. Il se priva de la moitié de sa puissance royale, dit Denys d’Halicarnasse, liv. IV, p. 229.
  2. On croyoit que, s’il n’avoit pas été prévenu par Tarquln, il auroit établi le gouvernement populaire. Denys d’Halicarnasse, liv. IV, pag. 243.
  3. Denys d’Halicarnasse, liv. IV.
  4. Ibid.