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Deux rois n’étoient tolérables qu’à Lacédémone ; ils n’y formoient pas la constitution, mais ils étoient la constitution.


CHAPITRE XI.

Des rois des temps héroïques, chez les Grecs.


CHEZ les Grecs, dans les temps héroïques, il s’établit une espece de monarchie qui ne subsista pas[1]. Ceux qui avoient inventé des arts, fait la guerre pour le peuple, assemblé des hommes dispersés, ou qui leur avoient donné des terres, obtenoient le royaume pour eux, & le transmettoient à leurs enfans. Ils étoient rois, prêtres & juges. C’est une des cinq especes de monarchies dont nous parle Aristote[2] ; & c’est la seule qui puisse réveiller l’idée de la constitution monarchique. Mais le plan de cette constitution est opposé à celui de nos monarchies d’aujourd’hui.

Les trois pouvoirs y étoient distribués de maniere que le peuple y avoit la puissance législative[3] ; & le roi, la puissance exécutrice, avec la puissance de juger : au-lieu que, dans les monarchies que nous connoissons, le prince a la puissance exécutrice & la législative, ou du moins une partie de la législative ; mais il ne juge pas.

Dans le gouvernement des rois des temps héroïques, les trois pouvoirs étoient mal distribués. Ces monarchies ne pouvoient subsister : car, dès que le peuple avoit la législation, il pouvoit, au moindre caprice, anéantir la royauté, comme il fit par-tout.

Chez un peuple libre, & qui avoit le pouvoir législatif, chez un peuple renfermé dans une ville, où tout ce qu’il y a d’odieux devient plus odieux encore,

  1. Aristote, polit. liv, III, chap. XIV.
  2. Ibid.
  3. Voyez ce que dit Plutarque, vie de Thésée. Voyez aussi Thucydide, liv. I.