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est accoutumé à confondre l’état avec le monarque. On ne feroit donc rien pour un homme de qui on n’attendroit aucun retour.

Mais il faut que cette ambition soit réglée par l’amour de l’estime. Si le monarque est subjugué par ses passions ; si, pour mériter les graces qu’il dispense, il faut servir ses caprices contre les loix, on craindra le mépris public, on s’abstiendra des places auxquelles sont attachées les fonctions qu’il veut faire employer à l’exécution de ses injustices, ou l’on abdiquera ces places, & l’on restera dans une glorieuse oisiveté.

Si ces deux passions ne sont pas combinées dans le cœur des sujets, ou le monarque perd sa puissance ou il devient despote.

Quant au gouvernement despotique, son principe est la crainte. Si les ordres du maître étoient reçus de sang-froid ; si cette passion n’interceptoit pas, au moindre signal de sa volonté, toute faculté de raisonner, on pourroit faire attention à leur injustice, remonter à celle qui maintient un tyran sur le trône : comme ce n’est que la loi du plus fort, en tournant ses propres forces contre lui, on l’extermineroit. Si, d’ailleurs, l’amour de la liberté s’emparoit subitement du peuple, comme il arriva à Rome sous Tarquin, le coup qui abattroit le tyran, abattroit la tyrannie ; le despotisme seroit anéanti, & l’on verroit naître une république.