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le corps législatif, des circonstances particulieres empêchent le gouvernement de devenir militaire, on tombera dans d’autres inconvéniens : de deux choses l’une ; ou il faudra que l’armée détruise le gouvernement, ou que le gouvernement affoiblisse l’armée.

Et cet affoiblissement aura une cause bien fatale ; il naitra de la foiblesse même du gouvernement.

Si l’on veut lire l’admirable ouvrage de Tacite sur les mœurs[1] des Germains, on verra que c’est d’eux que les Anglois ont tiré l’idée de leur gouvernement politique. Ce beau systême a été trouvé dans les bois.

Comme toutes les choses humaines ont une fin, l’état dont nous parlons perdra sa liberté, il périra. Rome, Lacédémone & Carthage ont bien péri. Il périra, lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l’exécutrice.

Ce n’est point à moi à examiner si les Anglois jouissent actuellement de cette liberté ou non. Il me suffit de dire qu’elle est établie par leurs loix, & je n’en cherche pas davantage.

Je ne prétends point par-là ravaler les autres gouvernemens, ni dire que cette liberté politique extrême doive mortifier ceux qui n’en ont qu’une modérée. Comment dirois-je cela, moi qui crois que l’excès même de la raison n’est pas toujours desirable ; & que les hommes s’accommodent presque toujours mieux des milieux, que des extrémités ?

Arrington, dans son Oceana, a aussi examiné quel étoit le plus haut point de liberté où la constitution d’un état peut être portée. Mais on peut dire de lui, qu’il n’a cherché cette liberté qu’après l’avoir méconnue ; & qu’il a bâti Chalcédoine, ayant le rivage de bysance devant les yeux.

  1. De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes ; ità tamen ùt ea quoque, quorum penès plebem arbitrium est, apud principes pertractentur.