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Il faut même que, dans les grandes accusations, le criminel, concurremment avec la loi, se choisisse des juges ; ou, du moins, qu’il en puisse récuser un si grand nombre, que ceux qui restent soient censés être de son choix.

Les deux autres pouvoirs pourroient plutôt être donnés à des magistrats ou à des corps permanens, parce qu’ils ne s’exercent sur aucun particulier ; n’étant, l’un, que la volonté générale de l’état ; & l’autre, que l’exécution de cette volonté générale.

Mais, si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugemens doivent l’être, à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. S’ils étoient une opinion particuliere du juge, on vivroit dans la société, sans sçavoir précisément les engagemens que l’on y contracte.

Il faut même que les juges soient de la condition de l’accusé, ou ses pairs, pour qu’il ne puisse pas se mettre dans l’esprit qu’il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence.

Si la puissance législative laisse à l’exécutrice le droit d’empoisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n’y a plus de liberté ; à moins qu’ils ne soient arrêtés pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale : auquel cas ils sont réellement libres, puisqu’ils ne sont soumis qu’à la puissance de la loi.

Mais, si la puissance législative se croyoit en danger par quelque conjuration secrete contre l’état, ou quelque intelligence avec les ennemis du dehors, elle pourroit, pour un temps court & limité, permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui ne perdroient leur liberté pour un temps, que pour la conserver pour toujours.

Et c’est le seul moyen conforme à la raison, de suppléer à la tyrannique magistrature des éphores, & aux inquisiteurs d’état de Venise, qui sont aussi despotiques.

Comme, dans un état libre, tout homme qui est censé avoir une ame libre doit être gouverné par lui même,