Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté : &, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des loix tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, & de l’exécutrice. Si elle étoit jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie & la liberté des citoyens seroit arbitraire ; car le juge seroit législateur. Si elle étoit jointe à la puissance exécutrice, le juge pourroit avoir la force d’un oppresseur.

Tout seroit perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçoient ces trois pouvoirs ; celui de faire des loix, celui d’exécuter les résolutions publiques, & celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisieme. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il regne un affreux despotisme.

Dans les républiques d’Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moins que dans nos monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussi violens que les gouvernemens des Turcs : témoins les inquisiteurs d’états[1], & le tronc où tout délateur peut, à tous les momens, jetter avec un billet son accusation.

Voyez
  1. A Venise.