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Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains ? Ils avoient à leur donner une religion douce ; ils leur apporterent une superstition furieuse. Ils auroient pu rendre libres les esclaves ; & ils rendirent esclaves les hommes libres. Ils pouvoient les éclairer sur l’abus des sacrifices humains ; au lieu de cela, ils les exterminerent. Je n’aurois jamais fini, si je voulois raconter tous les biens qu’ils ne firent pas, & tous les maux qu’ils firent.

C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime, & malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense, pour s’acquitter envers la nature humaine.


CHAPITRE V.

GÉLON, roi de Syracuse


LE plus beau traité de paix dont l’histoire ait parlé, est, je crois, celui que Gélon fit avec les Carthaginois. Il voulut qu’ils abolissent la coutume d’immoler leurs enfans[1]. Chose admirable ! Après avoir défait trois cens mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n’étoit utile qu’à eux ; ou plutôt, il stipuloit pour le genre humain.

Les Bactriens faisoient manger leurs peres vieux à de grands chiens : Alexandre le leur défendit[2] ; & ce fut un triomphe qu’il remporta sur la superstition.

  1. Voyez le recueil de M. de Barbeyrac, art. 112.
  2. Strabon, liv. II.