Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie du pays, ravagent les frontieres & les rendent désertes ; le corps de l’empire devient inaccessible.

Il est reçu en géométrie que, plus les corps ont d’étendue, plus leur circonférence est relativement petite. Cette pratique, de dévaster les frontieres, est donc plus tolérable dans les grands états que dans les médiocres.

Cet état fait, contre lui-même, tout le mal que pourroit faire un cruel ennemi, mais un ennemi qu’on ne pourroit arrêter.

L’état despotique se conserve par une autre sorte de séparation, qui se fait en mettant les provinces éloignées entre les mains d’un prince qui en soit feudataire. Le Mogol, la Perse, les empereurs de la Chine ont leurs feudataires ; & les Turcs se sont très-bien trouvés d’avoir mis, entre leurs ennemis & eux, les Tartares, les Moldaves, les Valaques & autrefois les Transilvains.


CHAPITRE V.

Comment la monarchie pourvoit à sa sûreté.


LA monarchie ne se détruit pas elle-même, comme l’état despotique : mais un état d’une grandeur médiocre pourroit être d’abord envahi. Elle a donc des places fortes qui défendent ses frontieres, & des armées pour défendre ses places fortes. Le plus petit terrein s’y dispute avec art, avec courage, avec opiniâtreté. Les états despotiques sont entre eux des invasions ; il n’y a que les monarchies qui fassent la guerre.

Les places fortes appartiennent aux monarchies ; les états despotiques craignent d’en avoir. Ils n’osent les confier à personne ; car personne n’y aime l’état & le prince.