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De plus : il s’en faut beaucoup que nos commerçans nous donnent l’idée de cette vertu dont nous parlent nos missionnaires ; on peut les consulter sur les brigandages des mandarins[1]. Je prends encore à témoin le grand homme milord Anson.

D’ailleurs, les lettres du P. Parennin, sur le procès que l’empereur fit faire à des princes du sang néophyte[2] qui lui avoient déplu, nous font voir un plan de tyrannie constamment suivi, & des injures faites à la nature humaine avec regle, c’est-à-dire, de sang-froid.

Nous avons encore les lettres de M. de Mairan & du même P. Parennin, sur le gouvernement de la Chine. Après des questions & des réponses très-sensées, le merveilleux s’est évanoui.

Ne pourroit-il pas se faire que les missionnaires auroient été trompés par une apparence d’ordre ; qu’ils auroient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d’un seul, par lequel ils sont gouvernés eux-mêmes, & qu’ils aiment tant à trouver dans les cours des rois des Indes ? parce que, n’y allant que pour y faire de grands changemens, il leur est plus aisé de convaincre les princes qu’ils peuvent tout faire, que de persuader aux peuples qu’ils peuvent tout souffrir[3].

Enfin, il y a souvent quelque chose de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonstances particulieres, & peut-être uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne soit pas aussi corrompu qu’il devroit l’être. Des causes, tirées la plupart du physique du climat, ont pu forcer les causes morales dans ce pays, & faire des especes de prodiges.

Le climat de la Chine est tel, qu’il favorise prodi-

  1. Voyez, entre autres, la relation de Lange.
  2. De la famille de Sourniama, lettres édifiantes, recueil XVIII.
  3. Voyez, dans le pere du Halde, comment les missionnaires se servirent de l’autorité de Canhi pour faire taire les mandarins, qui disoient toujours que, par les loix du pays, un culte étranger ne pouvoit être établi dans l’empire.