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CHAPITRE XVI.

De la communication du pouvoir.


IL est de la nature d’une république, qu’elle n’ait qu’un petit territoire : sans cela, elle ne peut gueres subsister. Dans une grande république, il y a de grandes fortunes, & par conséquent peu de modération dans les esprits : il y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d’un citoyen ; les intérêts se particularisent : un homme sent d’abord qu’il peut être heureux, grand, glorieux, sans sa patrie ; & bientôt, qu’il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie.

Dans une grande république, le bien commun est sacrifié à mille considérations : il est subordonné à des exceptions : il dépend des accidens. Dans une petite, le bien public est mieux senti, mieux connu, plus près de chaque citoyen : les abus y sont moins étendus, & par conséquent moins protégés.

Ce qui fit subsister si long-temps Lacédémone, c’est qu’après toutes ses guerres, elle resta toujours avec son territoire. Le seul but de Lacédémone étoit la liberté : le seul avantage de sa liberté, c’étoit la gloire.

Ce fut l’esprit des républiques Grecques de se contenter de leurs terres, comme de leurs loix. Athenes, prit de l’ambition, & en donna à Lacédémone : mais ce fut plutôt pour commander à des peuples libres, que pour gouverner des esclaves ; plutôt pour être à la tête, de l’union, que pour la rompre. Tout fut perdu, lorsqu’une monarchie s’éleva : gouvernement dont l’esprit est plus tourné vers l’aggrandissement.

Sans des circonstances particulieres[1], il est diffi-

  1. Comme quand un petit souverain se maintient entre deux grands états, par leur jalousie mutuelle : mais il n’existe que précairement.