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Le serment eut tant de force chez ce peuple, que rien ne l’attacha plus aux loix. Il fit bien des fois, pour l’observer, ce qu’il n’auroit jamais fait pour la gloire, ni pour la patrie.

Quintius Cincinnatus, consul, ayant voulu lever une armée dans la ville contre les Eques & les Volsques, les tribuns s’y opposerent. "Eh bien ! dit-il, que tous ceux qui ont fait serment au consul de l’année précédente marchent sous mes enseignes[1]." En vain les tribuns s’écrierent-ils qu’on n’étoit plus lié par ce serment ; que, quand on l’avoit fait, Quintius étoit un homme privé : le peuple fut plus religieux que ceux qui se mêloient de le conduire ; il n’écouta ni les distinctions, ni les interprétations des tribuns.

Lorsque le même peuple voulut se retirer sur le mont-sacré, il se sentit retenir par le serment qu’il avoit fait aux consuls, de les suivre à la guerre[2]. Il forma le dessein de les tuer : on lui fît entendre que le serment n’en subsisteroit pas moins. On peut juger de l’idée qu’il avoit de la violation du serment, par le crime qu’il vouloit commettre.

Après la bataille de Cannes, le peuple effrayé voulut se retirer en Sicile : Scipion lui fit jurer qu’il resteroit à Rome ; la crainte de violer leur serment surmonta toute autre crainte. Rome étoit un vaisseau tenu par deux ancres dans la tempête, la religion & les mœurs.


CHAPITRE XIV.

Comment le plus petit changement dans la constitution entraîne la ruine des principes.


ARISTOTE nous parle de la république de Carthage comme d’une république très-bien réglée. Polybe

  1. Tite Live, liv. III.
  2. Idem, liv. II.