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voir est plus grand ; mais leur sûreté diminue : s’ils sont en plus grand nombre, leur pouvoir est moindre, & leur sûreté plus grande : en sorte que le pouvoir va croissant, & la sûreté diminuant, jusqu’au despote, sur la tête duquel est l’excès du pouvoir & du danger.

Le grand nombre des nobles, dans l’aristocratie héréditaire, rendra donc le gouvernement moins violent : mais, comme il y aura peu de vertu, on tombera dans un esprit de nonchalance, de paresse, d’abandon, qui fera que l’état n’aura plus de force ni de ressort[1].

Une aristocratie peut maintenir la force de son principe, si les loix sont telles, qu’elles fassent plus sentir aux nobles les périls & les fatigues du commandement que ses délices ; & si l’état est dans une telle situation, qu’il ait quelque chose à redouter ; & que la sûreté vienne du dedans, & l’incertitude du dehors.

Comme une certaine confiance fait la gloire & la sûreté d’une monarchie, il faut, au contraire, qu’une république redoute quelque chose[2]. La crainte des Perses maintint les loix chez les Grecs. Carthage & Rome s’intimiderent l’une l’autre, & s’affermirent. Chose singuliere ! plus ces états ont de sûreré, plus, comme des eaux trop tranquilles, ils sont sujets à se corrompre.


CHAPITRE VI.

De la corruption du principe de la monarchie.


COMME les démocraties se perdent, lorsque le peuple dépouille le sénat, les magistrats & les juges, de

  1. Venise est une des républiques qui a le mieux corrigé, par ses loix, les inconvéniens de l’aristocratie héréditaire.
  2. Justin attribue à la mort d'Epaminondas l’extinction de la vertu à Athenes. N’ayant plus d’émulation, ils dépenserent leurs revenus en fêtes : Frequentiùs cœnam quàm castra visentes. Pour lors, les Macédoniens sortirent de l’obscurité : liv. VI.