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le devient dans la magistrature : ennemi de ceux qui gouvernent, il l’est bientôt de la constitution. C’est ainsi que la victoire de Salamine, sur les Perses, corrompit la république d’Athenes[1] : c’est ainsi que la défaite des Athéniens perdit la république de Syracuse[2].

Celle de Marseille n’éprouva jamais ces grands passages de l’abaissement à la grandeur : aussi se gouverna-t-elle toujours avec sagesse ; aussi conserva-t-elle ses principes.


CHAPITRE V.

De la corruption du principe de l’aristocratie.


L’ARISTOCRATIE se corrompt, lorsque le pouvoir des nobles devient arbitraire : il ne peut plus y avoir de vertu dans ceux qui gouvernent, ni dans ceux qui sont gouvernés.

Quand les familles regnantes observent les loix, c’est une monarchie qui a plusieurs monarques, & qui est trés-bonne par sa nature ; presque tous ces monarques sont liés par les loix. Mais, quand elles ne les observent pas, c’est un état despotique qui a plusieurs despotes.

Dans ce cas la république ne subsiste qu’à l’égard des nobles, & entre eux seulement. Elle est dans le corps qui gouverne, & l’état despotique est dans le corps qui est gouverné ; ce qui fait les deux corps du monde les plus désunis.

L’extrême corruption est lorsque les nobles deviennent héréditaires[3] : ils ne peuvent plus gueres avoir de moderation. S’ils sont en petit nombre, leur pou-

  1. Arist. polit. liv. V, ch. IV.
  2. Ibid.
  3. L’aristocratie se change en oligarchie.