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gere ; avoit, dans son sein, un peuple immense, qui n’eut jamais que cette cruelle alternative, de se donner un tyran, ou de l’être lui-même.


CHAPITRE III.

De l’esprit d’égalité extrême.


AUTANT que le ciel est éloigné de la terre, autant le véritable esprit d’égalité l’est-il de l’esprit d’égalité extrême. Le premier ne consiste point à faire en sorte que tout le monde commande, ou que personne ne soit commandé ; mais à obéir & à commander à ses égaux. Il ne cherche pas à n’avoir point de maîtres, mais à n’avoir que ses égaux pour maitres.

Dans l’état de la nature, les hommes naissent bien dans l’égalité : mais ils n’y sçauroient rester. La société la leur fait perdre, & ils ne redeviennent égaux que par les loix.

Telle est la différence entre la démocratie réglée & celle qui ne l’est pas ; que, dans la premiere, on n’est égal que comme citoyen ; & que, dans l’autre, on est encore égal comme magistrat, comme sénateur, comme juge, comme pere, comme mari, comme maître.

La place naturelle de la vertu est auprès de la liberté ; mais elle ne se trouve pas plus auprès de la liberté extrême, qu’auprès de la servitude.


CHAPITRE IV.

Cause particuliere de la corruption du peuple.


LES grands succès, sur-tout ceux auxquels le peuple contribue beaucoup, lui donne un tel orgueil, qu’il n’est plus possible de le conduire. Jaloux des magistrats, il