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changea dans la monarchie. Il ne fut plus question d’établir chez elles la pureré des mœurs, mais de punir leurs crimes. On ne faisoit de nouvelles loix, pour punir ces crimes, que parce qu’on ne punissoit plus les violations, qui n’étoient point ces crimes.

L’affreux débordement des mœurs obligeoit bien les empereurs de faire des loix, pour arrêter, à un certain point, l’impudicité : mais leur intention ne fut pas de corriger les mœurs en général. Des faits positifs, rapportés par les historiens, prouvent plus cela que toutes ces loix ne sçauroient prouver le contraire. On peut voir, dans Dion, la conduite d’Auguste à cet égard ; & comment il éluda, & dans la préture & dans sa censure, les demandes qui lui furent faites[1].

On trouve bien, dans les historiens, des jugemens rigides rendus, sous Auguste & sous Tibere, contre l’impudicité de quelques dames Romaines : mais, en nous faisant connoître l’esprit de ces regnes, ils nous font connoître l’esprit de ces jugemens.

Auguste & Tibere songerent principalement à punir les débauches de leurs parens. Ils ne punissoient point le déréglement des mœurs, mais un certain crime d’impiété ou de lese-majesté[2] qu’ils avoient inventé, utile pour le respect, utile pour leur vengeance. De-là vient que les auteurs Romains s’élevent si fort contre cette tyrannie.

  1. Comme on lui eut amené un jeune homme qui avoit epousé une femme avec laquelle il avoit eu auparavant un mauvais commerce, il hésita longtemps ; n’osant ni approuver, ni punir ces choses. Enfin, reprenant ses esprits, Les séditions ont été cause de grands maux, dit-il ; oublions-les. Dion, liv. LIV. Les sénateurs lui ayant demandé des réglemens sur les mœurs des femmes, il éluda cette demande, en leur disant, qu’ils corrigeassent leurs femmes, comme il corrigeoit la sienne. Sur quoi ils le prierent de leur dire comment il en usoit avec sa femme : question, ce me semble, fort indiscrette.
  2. Culpam inter viros & fœminas vulgatam gravi nomine læsarum religionum appellando, clementiam majorum suasque ipse leges egredichatur. Tacite, annal. liv. III.