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geoit devant eux[1]. Ce tribunal maintenoit les mœurs dans la république. Mais ces mêmes mœurs maintenoient ce tribunal. Il devoit juger, non-seulement de la violation des loix ; mais aussi de la violation des mœurs. Or, pour juger de la violation des mœurs, il faut en avoir.

Les peines de ce tribunal devoient être arbitraires, & l’étoient en effet : car tout ce qui regarde les mœurs, tout ce qui regarde les regles de la modestie, ne peut gueres être compris sous un code de loix. Il est aisé de régler, par des loix, ce qu’on doit aux autres ; il est difficile d’y comprendre tout ce qu’on se doit à soi-même.

Le tribunal domestique regardoit la conduite générale des femmes. Mais il y avoit un crime qui, outre l’animadversion de ce tribunal, étoit encore soumis à une accusation publique : c’étoit l’adultere ; soit que, dans une république, une si grande violation de mœurs intéressât le gouvernement ; soit que le déréglement de la femme pût faire soupçonner celui du mari ; soit enfin que l’on craignit que les honnêtes gens mêmes n’aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l’ignorer que le venger.


CHAPITRE XI.

Comment les institutions changerent à Rome avec le gouvernement.


COMME le tribunal domestique supposoit des mœurs, l’accusation publique en supposoit aussi ; & cela fit que

  1. Il paroît, par Denys d’Halicarnasse, liv. II, que, par l’institution de Romulus, le mari, dans les cas ordinaires, jugeoit seul devant les parens de la femme ; &, que, dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d’entre eux. Aussi Ulpien, au titre 6, §. 9, 12 & 13, distingue-t-il, dans les jugemens des mœurs, celles qu’il appelle graves, d’avec celles qui l’étoient moins : Mores graviores, mores leviores.