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même du vice. Ils ont banni jusqu’à ce commerce de galanterie qui produit l’oisiveté, qui fait que les femmes corrompent avant même d’être corrompues, qui donne un prix à tous les riens, & rabaisse ce qui est important, & qui fait que l’on ne se conduit plus que sur les maximes du ridicule que les femmes entendent si bien à établir.


CHAPITRE IX.

De la condition des femmes, dans les divers gouvernemens.


LES femmes ont peu de retenue dans les monarchies ; parce que la distinction des rangs les appellant à la cour, elles y vont prendre cet esprit de liberté, qui est, à peu près, le seul qu’on y tolere. Chacun se sert de leurs agrémens & de leurs passions, pour avancer sa fortune ; &, comme leur foiblesse ne leur permet pas l’orgueil, mais la vanité, le luxe y regne toujours avec elles.

Dans les états despotiques, les femmes n’introduisent point le luxe ; mais elles sont elles-mêmes un objet du luxe. Elles doivent être extrêmement esclaves. Chacun suit l’esprit du gouvernement, & porte chez soi ce qu’il voit établi ailleurs. Comme les loix y sont séveres & exécutées sur le champ, on a peur que la liberté des femmes n’y fasse des affaires. Leurs brouilleries, leurs indiscrétions, leurs répugnances, leurs penchans, leurs jalousies, leurs piques, cet art qu’ont les petites ames d’intéresser les grandes, n’y sçauroient être sans conséquence.

De plus : comme, dans ces états, les princes se jouent de la nature humaine, ils ont plusieurs femmes ; & mille considérations les obligent de les renfermer.

Dans les républiques, les femmes sont libres par les loix, & captivées par les mœurs ; le luxe en est banni, &, avec lui, la corruption & les vices.